Longtemps fragiles, les infrastructures de santé en Afrique atteignent désormais le point de rupture, sous l’effet du changement climatique.
Le changement climatique nous touche toutes et tous, mais pour les travailleuses et les travailleurs de la santé et des soins qui s’échinent à la besogne dans des pays en situation de stress énergétique comme le Zimbabwe, la crise est immédiate et implacable. Alors que beaucoup de professionnels parviennent à s’adapter, par exemple en trouvant des moyens de rafraîchir leur logement, de stocker de l’eau ou de faire face aux coupures d’électricité, ce n’est pas le cas des professionnels de la santé. Leur travail consiste à maintenir les gens en vie, aussi désespérées que soient les conditions. Mais avec des hôpitaux à court de ressources et privés d’électricité, ils ne sont plus en mesure d’assurer les soins même les plus élémentaires.
Imaginez une sage-femme qui met un bébé au monde à la lueur de la lampe torche d’un téléphone portable. Comment empêcher la propagation d’infections dans un hôpital sans eau courante ? Il ne s’agit point d’hypothèses, mais bien de la réalité quotidienne vécue par des milliers d’infirmiers et infirmières, de sages-femmes et de membres du personnel hospitalier à travers le continent. Les changements climatiques aggravent les coupures d’électricité, les pénuries d’eau et les épidémies, transformant un système de santé déjà exsangue en champ de bataille. Et les personnes qui se battent en première ligne ? Elles sont épuisées, sous-payées et ignorées.
Longtemps fragiles, les infrastructures de santé en Afrique atteignent désormais le point de rupture, sous l’effet du changement climatique. Alors que le paludisme, le choléra et les maladies liées à la chaleur connaissent une recrudescence, les hôpitaux manquent souvent de l’électricité nécessaire pour faire fonctionner les équipements médicaux essentiels.
« Partout dans le monde, on parle d’éteindre les lumières pendant une heure [à l’occasion de journées commémoratives comme la Journée de la Terre], alors que pour nous, les coupures d’électricité font partie du quotidien », explique Mary Kathiru Nderi, du Syndicat kenyan des travailleurs du commerce, de l’alimentation et des secteurs connexes (Kenya Union of Commercial, Food and Allied Workers, KUCFAW).
« Les inondations et les sécheresses ont rendu notre travail intenable. Nous sommes censées respecter les normes d’hygiène dans des hôpitaux sans eau courante. Pendant les coupures d’électricité, nous devons pratiquer des accouchements à la lueur des lampes torches de nos téléphones portables. »
Les pénuries d’eau rendent impossible la stérilisation adéquate des instruments chirurgicaux. Impossible aussi de prodiguer les soins d’hygiène de base aux patients qui se remettent d’une infection. Et c’est pourtant toujours aux professionnels de la santé qu’incombe la responsabilité de faire fonctionner le système et de sauver des vies dans des conditions impossibles.
Pour les professionnels de la santé, la réalité des pénuries d’énergie et d’eau peut avoir des conséquences catastrophiques. Contrairement aux coupures volontaires et planifiées, les pannes d’électricité dans les hôpitaux sont imprévisibles et peuvent s’avérer mortelles. « Nous sommes en première ligne et veillons à ce que les patients reçoivent des soins même lorsque les hôpitaux sont à court d’eau, d’électricité et de fournitures médicales », explique Tecla Barangwe, du syndicat Medical Professionals and Allied Workers Union of Zimbabwe (MPAWUZ). « Cependant, nos conditions de travail sont ignorées. Nous avons besoin de politiques qui nous protègent, avec de meilleurs salaires, des équipements de protection et la reconnaissance du rôle essentiel que nous jouons dans nos communautés. »
Les coupures d’électricité induites par le climat ne sont pas seulement source de désagréments pour les professionnels de santé, elles mettent aussi des vies en danger. Elles entraînent des pannes des systèmes de réfrigération des banques de sang et de vaccins. Elles provoquent l’arrêt des systèmes de survie. De surcroît, elles rendent impossibles les interventions chirurgicales d’urgence. Au Cameroun, Rodolphe Nouemwa Tassing, du Syndicat national des employés, gradés et cadres de banques et établissement financiers du Cameroun (SNEGCBEFCAM), avertit que « faute d’investissements dans des systèmes de santé résilients aux changements climatiques, les personnels soignants et les patients continueront de souffrir ».
Stress thermique
Les hausses de température n’entraînent pas seulement une augmentation du nombre de patients souffrant de coups de chaleur et de déshydratation. Elles poussent également les professionnels de santé au-delà de leurs limites physiques. De nombreux hôpitaux étant dépourvus de climatisation ou d’une ventilation adéquate, les personnels infirmiers et les médecins se voient contraints de travailler dans des températures caniculaires, tout en devant s’occuper d’un nombre ingérable de patients.
« Prenons l’exemple d’une infirmière en service dans un hôpital situé dans une région tropicale, où les hausses de température et les vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes », indique Joël Lueteta, de la Générale syndicale de la République démocratique du Congo. « Les vagues de chaleur entraînent une augmentation des cas de coups de chaleur, de déshydratation sévère et de problèmes cardiaques, mettant à rude épreuve les services hospitaliers. Le personnel infirmier, déjà aux prises avec un afflux massif de patients, doit également endurer des températures extrêmes dans des établissements où la climatisation est insuffisante, voire inexistante. Le stress thermique n’affecte pas seulement notre capacité à travailler, mais met également notre santé en danger. »
Les syndicats du secteur de la santé de toute l’Afrique appellent à des interventions urgentes pour protéger les travailleurs contre les crises induites par le climat. Ils attirent notamment l’attention sur la nécessité d’une représentation plus forte des travailleurs dans les discussions sur les politiques climatiques, ainsi que sur l’inclusion de mesures de résilience dans les conventions collectives.
Pour assurer la survie, nous demandons des investissements dans les infrastructures, notamment des systèmes d’alimentation électrique de secours photovoltaïques et des hôpitaux résistants aux aléas climatiques. Nous devons en outre continuer à insister sur l’importance de conditions de travail plus sûres, y compris des équipements de protection, des stratégies d’atténuation de la chaleur et des formations à la préparation aux catastrophes, et normaliser ces mesures dans tous les établissements de santé.
Les travailleurs de la santé et des soins, qui sont en première ligne face à l’urgence climatique qui nous concerne toutes et tous, ne peuvent être abandonnés à leur sort. « Nous avons besoin d’un véritable changement – de meilleurs salaires, des hôpitaux résilients au changement climatique et la reconnaissance du rôle essentiel que nous jouons », a souligné Mme Barangwe, du Medical Professionals and Allied Workers Union of Zimbabwe (MPAWUZ). « Le monde ne peut plus se permettre de nous ignorer. »